Tous les 6 mois, je participe à une rencontre d’entrepreneurs d’un mouvement d’inspiration chrétienne qui s’appelle « l’économie de communion« . Ce mouvement vise à introduire, dans la vie des entreprise, une économie et une culture du don désinteressé, du partage et de « l’amour réciproque » (faites à autrui ce que vous voudriez qu’on vous fasse, même si c’est le concurrent ou l’inspecteur des impôts!). En particulier, ces entreprises ont pour vocation de venir en aide aux plus démunis, notamment en partageant avec eux une partie des bénéfices annuels (le reste étant investi dans la croissance de l’entreprise et dans le développement de l’économie de communion). C’est la logique du profit au service des plus pauvres ! Ces rencontres d’entrepreneurs donnent l’occasion à chacun de témoigner de la manière dont s’inscrit l’économie de communion dans la vie de chaque entreprise, des difficultés rencontrées, des leçons apprises. Voici les témoignages que j’ai pris en note ce week-end. Les prénoms cités sont fictifs. Les titres sont de moi. :)
Découvrir l’être véritable… de son débiteur
Tom et son épouse ont prêté une importante somme d’argent à une connaissance. Mais leur débiteur ne les rembourse pas. Tom s’inquiète et craint d’être « roulé ». L’emprunteur n’est plus joignable. C’est la colère qui gagne. Plutôt que de se laisser emporter, Tom et son épouse décident de lui récapituler la situation sans animosité, par écrit, dans une lettre. A leur surprise, celui-ci réagit et leur téléphone. Il leur raconte son divorce et se dévoile dans ses faiblesses et ses difficultés. Il s’engage à rembourser. Tom se réjouit d’avoir pu « découvrir son être véritable ». Il se rappelle que Chiara Lubich, la créatrice de l’économie de communion, disaient que les Autres ont été créés comme un don que Dieu me fait.
Fraterniser avec l’ennemi
José a une activité de conception d’emballages. Il téléphone à un partenaire important, avec qui il entre habituellement en rapport de force et dont il doit exiger certaines ressources. Son interlocuteur, directeur commercial d’un grand groupe lui répond humblement et lui présente ses excuses pour son manque de réactivité, ce qui surprend José. José continue cependant sur le ton de l’exigence et de la négociation. Le directeur commercial l’informe alors qu’il va bientôt quitter son groupe. José réalise qu’il va perdre un interlocuteur de valeur et dont il avait l’habitude. Il essaie de rebondir sur l’occasion pour entrer en relation avec la nouvelle entreprise que son interlocuteur va rejoindre. La conversation quitte peu à peu le cadre professionnel pour devenir un échange inter-personnel. José découvre peu à peu l’être de son interlocuteur. Il fait l’effort de lui dire qu’il apprécie de pouvoir parler malgré leur situation professionnelle habituellement conflictuelle. Il réalise qu’ils coupent à la logique purement commerciale pour entrer dans le champ de la relation de personne à personne. Pendant quelques secondes, il a même l’impression de parler à un frère, au Christ ? Peut-être cette nouvelle dimension de leur échange va-t-elle lui permettre d’obtenir un nouveau client ? Il l’espère.
Passer outre les contrats
Pierre dirige une petite société d’édition. Dans ce secteur, les distributeurs de livres ont l’habitude d’exiger des cautions importantes aux éditeurs, de manière à pouvoir rembourser les invendus que les libraires pourraient leur retourner. Ainsi, la caution actuelle de Pierre auprès de son diffuseur s’élève actuellement à 130 k¤. Cette année, l’un des livres de Pierre se vend exceptionnellement bien. En conséquence, le contrat avec son diffuseur stipule qu’il va devoir porter sa caution à 214 k¤, pour couvrir les plus gros volumes distribués. L’interlocuteur de Pierre chez son diffuseur est un « gars réglo » mais qui reste habituellement dans une logique purement commerciale, contractuelle et « capitaliste ». Pierre ose cependant lui demander de faire un effort et d’accepter de lui rétrocéder 50k¤ de sa caution. A sa grande surprise, le distributeur accepte, alors que rien ne l’y forçait.
Découvrir son bailleur
Henri-Louis est locataire d’une maison. Habituellement, ses relations avec son propriétaire restent distante et il commence à s’énerver des fréquents travaux que celui-ci effectue dans la maison, dernièrement dans sa cave. Alors qu’il vient continuer ces travaux, Henri-Louis fait l’effort de lui proposer un café. Ils discutent alors de leurs vies personnelles pour la première fois. Le propriétaire évoque les relations humaines dans son entreprise. Henri-Louis lui parle alors de l’économie de communion et l’informe qu’il allait justement, dans quelques heures, se rendre au week-end semestriel de rencontre des entrepreneurs de l’économie de communion. Son propriétaire s’y intéresse. L’économie de communion permet à Henri-Louis de partager avec son propriétaire et d’étendre le champ de leur relation, ce dont il se réjouit.
Embaucher en aveugle ?
Mireille dirige une activité de paysagiste. Depuis deux ans, elle travaille avec un bureau d’études qui lui apporte quelque fois des affaires. Ce matin-là, elle passe la demi-journée avec ce sous-traitant pour aller chercher des plantes ensemble dans une pépinière. Dans la voiture, il lui avoue avoir actuellement des difficultés économiques. Or Mireille cherche justement un architecte/paysagiste pour renforcer son équipe. Au cours de la conversation, elle se sent en « communion d’âme » avec lui et a l’intuition qu’elle devrait l’embaucher sans même avoir eu recours à une étude de rentabilité. Trois mois plus tard, ils tentent le pari. Son embauche lui permet de pérenniser et de réguler ses revenus. Or c’est justement la crise qui s’annonce à ce moment-là. Mireille perçoit alors comme « un clin d’oeil » que le paysagiste nouvellement embauché réussit rapidement à apporter de nouvelles grosses affaires à l’entreprise, ce qui atténue significativement l’effet du début de crise.
Céder à l’incompétence ?
Fred est éleveur et songe à céder son exploitation. Il cherche un repreneur depuis quelques temps et a choisi un couple de candidats cet hiver. Ce couple manque cependant d’expérience pratique et Fred leur demande de travailler avec lui pour « se faire la main ». Cependant, le premier mois de travail en commun sur l’exploitation se révèle très difficile. En effet, le candidat repreneur fait preuve d’une très grande arrogance dans ses relations et ne cesse de « taquiner » Fred à toute occasion. Fred n’en peut déjà plus. Plusieurs fois par jour, il recourt à la prière. Il est pris d’un doute : ce couple a-t-il vraiment l’envergure nécessaire à la reprise de l’exploitation ? « Elle » ne s’en sort pas trop mal. Mais « lui », et son arrogance permanente ? Que faire ? Comment supporter cette expérience relationnelle douloureuse au quotidien ? N’est-il pas trop tôt pour porter un jugement sur leur compétence ? Au contraire, l’expérience professionnelle de Fred ne lui permet-elle pas de se forger une intuition déjà assez fiable ? Et la saison qui s’annonce n’est-elle pas déjà mise en danger par les mauvaises conditions de leur travail en commun ?
Décloisonner, déhiérarchiser les relations
Catherine dirige un cabinet de conseil. Elle apprend brusquement que son fils a un grave cancer mais qui pourrait être traité. Va-t-elle le dire à la famille ? ou leur épargner l’inquiétude ? Elle décide finalement d’en parler non seulement à la famille mais aussi aux amis, dans les associations où elle est présente. L’intervention chirurgicale se passe bien. La radiothérapie semble efficace mais la situation reste difficile. Doit-elle le dire à ses consultants ? Elle décide de leur en parler, un par un. En effet, la tension personnelle qu’elle ressent forcément risque de rejaillir sur le boulot. Et les membres de son cabinet se sont justement engagés à mieux exprimer leurs émotions et leurs ressentis pour améliorer leur performance. Alors elle en parle. Par exemple, avec cette consultante habituellement très distante et avec qui la relation a toujours été difficile. A sa surprise, cette conversation permet à la consultante de se livrer à son tour et de partager ses propres tensions personnelles et familiales. Catherine se sent en communion avec elle. Leur parole a été libérée malgré leur relation hiérarchique.
Exploser son client ou son devis
Thierry est artisan. Il a pris du retard dans l’établissement d’un devis pour un client « qu’il ne sent pas ». En effet, ce potentiel client se montre très directif dans ses demandes. Sur le lieu du chantier, au lieu d’exposer simplement le problème et de laisser Thierry proposer et argumenter, le prospect entre trop dans les détails et Thierry a l’impression qu’il veut lui apprendre son métier. Thierry en a franchement assez. Il se dit en son fors intérieur : « Seigneur, si il dit encore une seule phrase, j’explose ! ». Le client se tait. Thierry repart avec de la rancoeur. Il prépare cependant son devis et envisage d’y ajouter une petite phrase « … mais je n’ai pas le désir de travailler avec vous. » Sa fierté a été blessée et il a une intuition négative quant au déroulement de ce chantier. Il se demande : que ferait Jésus ? Dois-je ajouter cette phrase à mon devis ?
Le salarié dans toute sa faiblesse
Thierry est artisan. Il est inquiet pour l’un de ses hommes qui est un peu plus âgé que les autres et commence à montrer une mauvaise forme physique : il enchaîne les bourdes et a quelques problèmes d’audition. Les autres membres de l’équipe s’en plaignent. Alors Thierry « le prend entre quatre zyeux » pour lui faire part de ses inquiétudes. Puis il dit aux autres : « Dieu l’a mis ici pour nous ». Il leur explique : « C’est à nous de l’accompagner. » Il le compare a Jésus dans sa faiblesse. Ses gars sont athées mais ils savent à qui ils ont à faire !
Prier oui, mais insister aussi
Laurent se lance d’une activité agricole et dans l’exploitation d’une maison d’hôte. Il arrive en fin de travaux mais n’a presque plus de fonds. En effet, il vient de faire une erreur financière qui va bloquer ses fonds restant pour de nombreuses années alors qu’il en a justement besoin pour terminer son chantier. Il adresse une prière à Saint-Joseph (c’est justement le jour de la Saint-Joseph…). Il appelle le financier qui gère ses fonds et insiste pour essayer de faire corriger son erreur. Son financier refuse et lui dit qu’on ne peut plus rien faire, c’est trop tard. Il demande des conseils à Thierry, qui n’est pas loin de là. Laurent rappelle encore plusieurs fois son financier et insiste : ne peut-on vraiment pas trouver une solution ? Finalement, le financier trouve une solution et les fonds sont débloqués. Laurent est soulagé.
Se libérer à l’autre bout du monde
Sabine est consultante indépendante en gestion des ressources humaines. Son mari a rompu tout lien avec sa famille et son pays d’origine depuis plus de 38 ans. Mais il apprend que sa soeur est gravement malade. Sabine se prépare à argumenter pour le convaincre d’aller la voir. A sa surprise, il accepte sans hésiter et les voila partis, en 48H seulement, à l’autre bout du monde. Elle vit, avec son mari, la redécouverte, la rencontre, le pardon et une nouvelle paix intérieure. Stressée par son départ précipité, elle a emporté du boulot et s’apprête à travailler dans sa chambre d’hôtel. De l’autre côté du globe, elle réalise que son stress professionnel lui montre qu’elle veut prouver quelque chose, qu’elle n’est pas intérieurement libre par rapport à son travail. Elle retrouve alors une paix intérieure également sur le plan professionnel, qu’elle pense devoir à son « associé invisible » (Dieu) qui la libère des enjeux personnels par lesquels elle avait laissé son activité professionnelle être contaminée. Elle se réjouit que son associé invitisble soit venu avec elle en voyage, même au bout du monde.
Rétablir la justice
Véronique siège au conseil municipal de son village. Actuellement, l’un des adjoints est en train de se faire violemment exclure par tous les autres. On lui demande de ne pas assister à une réunion au cours de laquelle tous sont invités à énumérer les griefs à son encontre. Véronique vit cela comme une séance de « lynchage collectif ». Elle est choquée de la mauvaise foi de certains, se sent mal à l’aise et se demande comment vivre son engagement d’élue dans ces conditions. Comment rester calme ? Comment défendre l’adjoint victime de l’opprobe. Comment apaiser ? rétablir la vérité et la justice ?
Affronter la tempête sans boussole
Florian dirige une PME dans l’industrie mécanique. Actuellement, ça ne va pas fort. Il y a quelques mois, il a embauché une jeune contrôleuse de gestion, major de sa promotion, qui lui a été chaudement recommandée et semblait très prometteuse. Elle assure seul la comptabilité et la tenue des tableaux de bord de gestion alors que la responsable du service part en congés maternité. Pour limiter les risques de ces nouvelles responsabilités, il lui stipule clairement : « ne prenez surtout aucune initiative et tenez-moi au courant de toutes vos difficultés et de vos activités ». Les résultats de son travail semblent très « pro ». Les tableaux de bord sont clairs… mais leur contenu est totalement faux. Sa chef revient de congés et découvre l’ampleur du désastre. Incompétente, la jeune femme maintenait avec rigueur toutes les apparences du professionnalisme. Mais les ratios sont erronés, la trésorerie est dans un état catastrophique, les factures non comptabilisées sont retrouvées au fin d’un tiroir où elle les avait glissées ne sachant comment les traiter. C’est à ce moment que la crise mondiale frappe et que le carnet de commande entame une chute vertigineuse. Or l’activité de Florian est très sensible aux sous-charges. La jeune contrôle de gestion ne s’excuse pas. Son CDD n’est pas renouvelé. Les comptes ont plusieurs mois de retard, maintenant et il faut réparer les dégâts. Florian a l’impression d’arriver au coeur d’une tempête économique sans aucune boussole. Les clients reportent toutes leurs commandes et la catastrophe s’annonce parmi toutes les PME locales du secteur. Et dire qu’il était encore confiant il y a 6 mois de cela. Avec ses confrères dirigeants des entreprises du secteur, il fait circuler un mail d’invitation à dîner ensemble pour essayer de se remonter le moral les uns les autres…
Comptabiliser la communion ?
Gérard est consultant achats. Il n’entretient avec son comptable que des relations limitées aux besoins professionnels. Pour mieux comprendre l’activité et la gestion de Gérard, son comptable se renseigne : « C’est quoi cette histoire d’économie de communion ? » Gérard répond et apprécie de constater que la conversation et les échanges prennent peu à peu une tournure plus personnelle et moins déconnectée.
Gratte-moi le don !
José est agriculteur. Il a des copains qui n’ont plus les moyens de payer leur chauffage. Il aimerait bien les aides. Avec un pote, il achète régulièrement des tickets de loterie à gratter et ils se disent, à moitié pour rigoler, que, si jamais ils gagnent, ils partageront leurs gains avec des personnes démunies. Ce jour-là, il raconte la situation de ses copains et ils décident ensemble qu’ils leur donneront leurs gains. Ils achètent un ticket et commencent à gratter. Et ils gagnent justement la somme que José se disait qu’il voudrait donner à ses copains dans le besoin ! Ils leur font ce cadeau. Ce soir-là, José a senti « comme une présence » avec eux…
Croire au respect de la diversité
Christophe dirige une PME industrielle. Il y a trois ans, il a embauché une personne handicapée pour se charger de l’établissement des devis. Tous s’entendent bien avec elle et elle apprécie les horaires aménagés pour son handicap. Fort de cette expérience positive, et alors que la croissance est au rendez-vous, il embauche une jeune femme responsable logistique et qualité. Pourtant, le secteur est traditionnellement plutôt machiste et les relations hommes-femmes restent difficiles. Qui plus est, la jeune femme est d’origine maghrébine et elle doit s’imposer face à un collègue raciste. Elle y arrive. Plus tard, elle remercie Christophe « pour son respect ». Et elle lui confie « c’est la seule entreprise que j’ai faite où on respecte vraiment les gens. » Christophe a chaud au coeur.
Prévoir et apprécier le pain quotidien
Gérard dirige depuis peu une entreprise du bâtiment, spécialisée dans les bâtiments passifs, meilleurs pour l’environnement. Il a repris cette entreprise qui était en difficulté, grâce à des aides personnelles, publiques et bancaires. Ces aides lui ont donné de l’espérance. Il emploie 15 personnes, une trentaine avec les sous-traitants et interimaires. Il s’inquiète cependant du manque de visibilité sur l’activité à venir. Il regrette de ne pas déjà avoir les commandes jusqu’à la fin de l’année. Mais il s’en remet à Dieu. Dans la prière du Notre Père, ne demande-t-on pas « notre pain quotidien » ? On ne demande pas celui de demain mais celui d’aujourd’hui. Alors il s’efforce de rester patient et confiant.
Faire confiance à la famille
Gérard a repris une entreprise de bâtiment. Peu avant le bouclage financier pour assurer la reprise de l’entreprise, la crise financière mondiale se dévoile dans toute son ampleur. Un oncle de Gérard avait promis 50 k¤ mais il refuse maintenant de les débourser car ses actifs financiers perdent de la valeur et ils préfèrent les conserver sur le long terme. Le bouclage de Gérard est mis en péril. Va-t-il réussir à devenir majoritaire au capital de l’entreprise qu’il s’apprête à reprendre ? Il appelle son ancien employeur d’il y a 10 ans. Celui-ci lui fournit 25 k¤. Il s’adresse aussi à un nouvel ami avec qui il partage quelques liens spirituels forts : celui-ci demande l’aide de sa mère qui accepte d’investir 30 k¤ dans l’affaire de Gérard. Gérard perçoit ces nouveaux apports comme des signes d’espérance malgré la tourmente économique qui s’annonce.
Couler à pic
La nouvelle crise économique mondiale fait penser Marc à l’évangile sur la tempête. Nous avons tant de raison de craindre de couler à pic. Comment faire pour marcher sur l’eau ? Nous sommes invités à garder le regard sur Dieu et à rester confiants. Véronique dit que la crise, c’est un peu une « opération-vérité », une période où tout « le faux », « le pipeau » et les châteaux de carte s’écroulent. Le problème, c’est que l’effondrement entraîne aussi le reste, nous compris, car nous nous sommes laissés « prendre dedans ».
Prendre le temps d’écouter
Henri-Louis fait le point sur les premières années qui viennent de suivre sa reprise d’une entreprise centenaire. Il compare la situation des entrepreneurs à celle des cyclistes du Tour de France, surtout lorsqu’ils en sont au troisième col à franchir dans la même journée. Ils sont encouragés par les gens au bord de la route mais restent « le nez dans le guidon », à « en baver toute la journée ». Il est important de s’entourer de proches capables de voir et de dire la vérité, de nous conforter et de nous encourager sans flatterie. Il y a six mois, il se demandait: « comment partager l’économie de communion avec mes salariés ? ». Certainement pas par le discours. Qu’est-ce que pourrait bien être une « pédagogie de l’économie de communion » ? Deux dimensions lui semblent essentielles : l’écoute et l’ouverture au pauvre. En matière d’écoute, l’essentiel réside dans le comportement et l’attitude. Par exemple, plutôt que de se contenter du quotidien « bonjour, comment ça va? » lancé en passant, il a un jour tenté l’expérience de s’arrêter et de prendre le temps de poser la question « comment ça va ? » dans l’attente d’une réponse. Et il a non seulement obtenu une réponse, mais, à sa surprise, s’est vu également demandé par un salarié habituellement distant « et vous, comment ça va ? » Il a réussi à faire sentir qu’il allait écouter la réponse et qu’il en prenait le temps. Habituellement, lorsqu’il allait voir son assistante, c’était avec une liste de choses à faire. Cette fois-là, il s’est assis à côté d’elle sans sa liste et lui a demandé « Ghislaine, comment est-ce que je peux vous aider ? ». Il est venu sans papier et ouvert à l’échange. Sa relation avec cette assistante a changé du tout au tout et celle-ci est, depuis, plus organisé et établit elle-même ses plans d’action. Pour Henri-Louis, la pression du quotidien nuit à la relation. Et les réflexes négatifs reviennent vite. Il ressent un véritable « appel à la conversion du coeur » et aimerait savoir y répondre. Comment résister à l’érosion du coeur ? Comment mettre en place, structurellement, dans la vie de l’entreprise, des moments de relation ? Quelles sont les structures d’entreprise pour vivre l’économie de communion ? Il aimerait faire preuve de créativité pour institutionnaliser des moments de relation. L’autre dimension essentielle pour une pédagogie de l’économie de communion, c’est l’ouverture au pauvre.
Etre plutôt que faire
Jean-Louis dirige un cabinet d’assurance. « Comment faire pour vivre l’économie de communion ? » se demande-t-il. « pour vivre l’évangile dans l’entreprise ? » Avec ses deux associés, ils prennent le temps de s’interroger et conviennent d’essayer « d’être plutôt que de faire ». Plutôt que de s’efforcer encore davantage de faire appliquer certaines procédures de gestion mal suivies, ils décident d’institutionnaliser un temps de rencontre hebdomadaire pour laisser s’exprimer le besoin de gestion tel que perçu par chacun, laisser chacun s’approprier les procédures et même laisser chacun les améliorer. Quatre salariés du cabinet ont spontanément exprimé leur satisfaction de cette nouvelle manière de faire.
Se laisser guider
Jean-Guy dirige une PME familiale dans l’industrie textile. En octobre 2008, l’entreprise traverse un « trou d’air » très violent dû à la crise mondiale. Mais, justement, ils viennent d’obtenir un très gros marché qui le sfait tenir jusque mi-février. Puis les commandes baissent car le client préfère recourir à l’importation pour l’un des volets de ce marché. Jean-Guy sait qu’il doit alors soit réduire les coûts et licencier, soit trouver un nouveau marché. Il repart avec ce défi est une prière : « Guide-moi car c’est important non seulement pour moi mais pour les gens qui m’entourent. »
Donner sans attendre
Fabrice dirige une petite entreprise d’insertion dans les travaux forestiers et la scierie. Pour lui, ce n’est pas évident de « s’en remettre à Dieu ». Il est touché par les témoignages qu’il entend mais il a peur. Il est OK pour en baver au quotidien et son entreprise s’en sort bien malgré la crise. Mais, au quotidien, ce n’est pas facile à vivre. Il a avec lui 3 ouvriers en insertions et 3 encadrants. Ils croyaient que les encadrants allaient le remercier de ses efforts mais ce n’est pas le cas. Ils sont peu reconnaissants. Il vit sa situation comme problématique sur le plan existentiel et spirituel. Comme diriger son entreprise dans la paix et non pas déchiré et stressé. Son objectif personnel dans ce choix de l’entrepreneuriat, c’est la joie de vivre. Pour lui, son mal-être vient du stress et du manque de reconnaissance par ses salariés. Jean-Guy réagit : ce que l’économie de communion a changé dans sa vie, c’est qu’il est devenu beaucoup plus « zen » qu’avant. Il a réalisé qu’il n’est pas vraiment le propriétaire de son entreprise, même si il en détient le capital. Il en est seulement le gérant et il n’est pas seul. Dieu est l’actionnaire principal. Florian réagit également : il n’attend pas de reconnaissance de la part de ses ouvriers. Son attente n’est ni la richesse, ni de devenir un notable local mais d’aider le plus grand nombre possible de pauvres et de vivre humblement. Gérard rappelle aussi qu’on est très mauvais juge de soi-même et qu’on fait souvent mieux que ce que l’on croit. Jean-Louis rapporte un épisode de la vie du pape Jean 23, qui ne se sentait pas du tout à l’aise après avoir été élu pape et n’arrivait plus à dormir. Il aurait alors perçu que Dieu lui demandait : « Jean, c’est toi le patron ou bien c’est moi ? … Alors pourquoi tu ne dors pas ? » Sabine nous invite à écouter et à nous laisser guider. L’entreprise d’Alfred est en grande difficulté. Pour lui, maintenant, « que l’entreprise capote ou non, ce n’est pas mon problème, c’est celui de Dieu ; je ne demande que mon pain quotidien et je rend grâce à Dieu car c’est la mauvaise santé financière de mon entreprise qui m’a permis de réaliser tout cela. » Roméo est à la retraite et raconte que, pendant 20 ans, lui aussi a dirigé une scierie et il a vécu tout son parcours comme une « quête de réciprocité ». Véronique souligne l’importance de la gratuité des actes : il faut donner sans attendre. Et attendre un « merci », ce n’est pas donner gratuitement. Plus on donne (gratuitement), plus on reçoit. Et on ne reçoit que quand on n’est pas en demande. Dans sa savonnerie plus que centenaire, Henri-Louis a versé une prime à ses salariés, la première versée depuis 100 ans. Et sa femme l’a bien prévenu : « surtout, n’attend rien en retour ». Pierre raconte que son petit dernier est né « par surprise » lorsque sa femme et lui avaient acceptés leur infertilité. Bénédicte, qui se prépare à lancer une activité de restauration, témoigne de son expérience de salariée. Elle avait fait 400 heures supplémentaires pour faire gagner un contrat de 2 millions d’euros à son employeur. Plutôt que de l’en remercier, celui-ci ne lui a témoigné aucune reconnaissance et lui a presque reproché d’en avoir fait autant. Alors son envie de devenir entrepreneur est aussi une envie de vengeance : se venger des patrons ingrats en devenant soi-même un patron reconnaissant !
Recréditer la confiance
Nous regardons une vidéo sur l’économie de communion et je note ceci : la gouvernance d’une entreprise de l’économie de communion ne repose ni sur la hiérarchie (entreprises classiques) ni sur l’égalitarisme (coopératives). Tous les salariés sont vus comme des entrepreneurs, ayant chacun des rôles et des responsabilités divers. Le rôle de l’entrepreneur est de créer les conditions du succès, et notamment, pour cela, de veiller à recréditer la réputation et la confiance de chaque employé qui commet une erreur, en lui confiant un nouveau travail où il a de bonnes chances de réussir. Faire de chacun des entrepreneurs permet d’accroître la créativité et l’innovation.
Voila pour les témoignages de ce week-end. Notre prochain week-end d’unité, en octobre, se déroulera sur 3 jours à Bruxelles, avec nos collègues entrepreneurs de l’économie de communion dans les pays d’Europe du Nord. Mais je ne suis pas sûr que je pourrai y participer : c’est toujours compliqué de s’organiser pour s’occuper de nos quatre enfants et je n’aime pas laisser ma moitié à devoir se débrouiller à la maison avec eux alors que je profite de ces super moments d’échange et de rencontre. Et mon entreprise sera-t-elle encore là à la rentrée scolaire ?
Que pensez-vous de tous ces témoignages ?