La suite de mes notes personnelles sur les passages qui m’ont marqué dans le
ClueTrain Manifesto. Le chapitre 1 du
ClueTrain Manifesto affirme que nous aspirons à établir des ponts entre
activité professionnelle et centres d’intérêt personnels. Nous cherchons à
nous inscrire dans un monde qui a du sens et non dans un marché qui nous
aliène ni dans une organisation qui nous gère. Pour cela, nous pourrions
bénéficier de nouvelles formes d’échanges, de « conversations », qui émergent
via les technologies issues de l’Internet (mais ayant peu avoir, sur le
fond, avec ces technologies). En particulier, ces conversations foisonnent
d’une part sur le marché (entre consommateurs) et d’autre part dans
l’entreprise (entre employés). Mais un firewall métaphorique les sépare
encore l’une de l’autre. Ce firewall n’est ni plus ni moins qu’une culture
d’entreprise traditionnelle, conservatrice et craintive. La dichotomie entre
le je-travailleur et le je-consommateur se renforce donc. A-t-elle encore un
sens aujourd’hui ? Doit-elle perdurer ? Selon les auteurs, une telle
séparation handicape la capacité de l’entreprise à s’engager dans des
collaborations productives avec des acteurs externes. La sécurité souvent
invoquée comme justification peut aller jusqu’à bloquer l’accès de
l’entreprise aux nouvelles formes de ses marchés. La perspective que des
employés puissent agir de manière autonome dans leurs collaborations avec
des acteurs externes fait peur. Les marchés prendraient-ils peu à peu un
visage humain (cf. « l’Internet à visages humains ») plutôt qu’un profil
statistique ? Le but du jeu serait de construire des communautés ouvertes
conviviales et des « écologies de savoirs » plutôt que de tirer profit de
secteurs démographiques. Comment se fait-il que des entreprises aient besoin
de dépenser des millions en études de marché ? Comment se fait-il que les
entreprises ne connaissent plus leurs marchés par coeur ?
– L’une des nouvelles formes de conversation entre employés pourrait
s’appuyer sur la gestion de la qualité totale (TQM). En effet, le TQM met
l’accent sur le capital de connaissance de l’individu dans sa pratique de
travail et les employés sont donc encouragés à partager ce qu’ils savent
avec les autres employés de l’entreprise, quel que soit leurs positions
respectives dans l’organisation. Les intranet corporate d’entreprises
fidèles aux principes du TQM foisonneraient donc de conversations entre
employés riches de savoirs reconnus et valorisés. Mais force est de
constater que la reconnaissance du savoir des individus par les
organisations est une oeuvre loin d’être achevée.
– La plupart des stratégies e-commerce restent fidèles au schéma marketing
classique qui consiste à rechercher un marché de masse lucratif alors même
que les technologies de l’Internet feraient exploser le marché en une
multitude de niches aux besoins divergents. Les spécialistes du marketing
essaient coûte que coûte de plaquer sur les marchés de l’Internet les mêmes
modèles de diffusion top-down en espérant par exemple faire acheter un même
contenu par des millions de foyers. « Une télévision avec un bouton ‘acheter’
? Wow ! » Ceux-là n’ont encore rien compris à l’Internet et perdent leur
argent avec des concepts de WebTV déjà obsolètes. Les auteurs établissent
également une analogie entre la mentalité « broadcast » des médias
traditionnels et la mentalité bureaucratique de dissémination des pouvoirs
dans l’entreprise pyramidale.
– Finalement, l’important ne semble pas être la technologie mais le
caractère culturellement nouveau du réseautage via ces technologies. Mais
rares sont les dirigeants d’entreprise qui le comprennent : trop peu
nombreux sont ceux dont l’expérience personnelle « en ligne » s’avère
suffisante. C’est pourquoi leur premier réflexe, lorsqu’il s’agit de batir
un intranet, est de tenter de reproduire « en ligne » les structures de
l’organisation (en autant de rubriques hiérarchisées…) et d’imposer des
directives mortifères (« Toutes les pages Web doivent être approuvées par la
Direction pour la Prévention du Travail utile »). En tuant l’enthousiasme des
collaborateurs « de la base » qui possèdent une richesse de savoirs
inévaluable, on obtient souvent un intranet immense, graphiquement « pro »,
très cher mais que tout le monde ignore ou presque.
– Comment valoriser les savoirs ? Pas de manière paternaliste, mais plutôt
en reconnaissant l’autorité que donne la compétence et le métier ;
certainement pas en s’appropriant le travail même artisanal de rédacteurs de
pages. Les entreprises reproduisent souvent des erreurs classiques de
management en essayant de « mettre de l’ordre » dans les intranets : ceux-ci
en deviennent rigides et constipés ; ils finissent par en mourir. Les
gestionnaires d’intranet ne sont plus mus par une conviction personnelle de
contribuer à un travail utile mais par la peur de perdre le contrôle (ou
l’appétit du pouvoir). Dans ces mêmes entreprises, on dépense des millions
pour essayer de savoir qui sont ses clients. « Ils » ne le savent plus. « Ils »
se sont barricadés dans « leurs » bureaux de direction et ont érigé des
firewall par dessus le tout. (Les auteurs du CTM savent faire usage de la
métaphore). Pourtant, bientôt peut-être, ces entreprises ouvriront à leurs
interlocuteurs des portions significatives de leurs intranet -en apprenant à
mieux protéger leurs secrets stratégiques- afin de développer des relations
avec leurs marchés plutôt que d’essayer de s’en défendre. Un maître Zen
aurait dit : « Pour contrôler ta vache, donne-lui un plus vaste paturage ».
Les entreprises qui en sont déjà là sont en perpétuelle recherche
d’informations de valeur à partager avec leurs clients et prospects, qui via
le Web, qui via des sites de téléchargement, qui via des mailing lists ou
toute autre forme de communication. Leur souci principal n’est plus de
protéger leurs données sans discernement mais d’offrir le plus
d’informations possibles. C’est ainsi qu’elle restent en contact avec le
marché, qu’elles entretiennent leur positionnement concurrentiel et qu’elles
retiennent l’attention de leurs clients. Ce type d’entreprises créent une
nouvelle forme d’identité institutionnelle : non pas une identité basée sur
les campagnes de presse à répétition pour la notoriété de la marque, mais
une identité basée sur une communication personnalisée et pleine de sens. Le
seul moyen de paraître authentique sur les nouveaux marchés en ligne serait
de donner le pouvoir aux employés de partager le plus largement possible
leur intelligence. Personnellement, la combinaison de cet enjeu avec celui
de la logique de guerre économique me paraît un challenge intellectuellement
très alléchant.
– Les entreprises savent en général peu ce qui se dit sur elles via
l’Internet. Mais, en dehors de celles qui sont complètement à côté de la
plaque, elles sont toutes très gênées de savoir que des conversations les
concernant ont lieu et qu’elles n’ont aucun contrôle sur celles-ci. Et, pour
finir par une appréciation personnelle, je ne pense pas que les options du
type « management des perceptions » à la Burson-Marsteller soient des
solutions acceptables pour une entreprise honnête.