Archives mensuelles : août 2015

Quelles sont les méthodes et techniques pédagogiques qui marchent vraiment ?

Quelles sont les méthodes pédagogiques qui marchent bien et celles qui marchent moins bien ? Qu’est-ce qui fonctionne réellement en pédagogie ? Comment savoir si une idée pédagogique est vraiment bonne ou mauvaise ? Où trouver des idées d’innovation pédagogiques qui ont des chances de faire plus de bien que de mal à nos apprenants ?

Vous avez sans doute déjà assisté à ou lu des débats entre pédagogues, des débats sans fins, à coups de théories élaborées, des affrontements d’opinions, de croyances et de thèses difficilement vérifiables, bien souvent tranchés par l’invocation d’un grade (« c’est Monsieur l’inspecteur général qui l’a dit, c’est vrai ») ou d’une figure d’autorité historique (« c’est Piaget qui l’a dit, alors c’est vrai »), ou, plus souvent encore, jamais tranchés mais laissés en suspens de manière vaine au prétexte du relativisme ou des spécificités culturelles. Pour autant, au-delà des croyances et opinions de chacun, de quoi peut-on être sûr en matière d’éducation et de pédagogie ?

Je m’étais posé ce genre de questions il y trois ans alors que je m’investissais professionnellement dans le secteur de l’éducation et j’avais eu du mal à identifier un « état de l’art » de qualité scientifique pour y répondre. J’ai un peu avancé cet été, voici ce que j’ai appris.

Le mouvement de « l’éducation fondée sur les preuves » (EBE comme Evidence-Based Education et non pas comme Extraterrestrial Biological Entity) vise à rendre « scientifique » la connaissance en pédagogie. Ce mouvement a pris de l’ampleur sous l’influence des progrès scientifiques en sciences cognitives, en neuroscience (https://en.wikipedia.org/wiki/Educational_neuroscience), en psychologie sociale mais aussi en s’appuyant sur les approches expérimentales rigoureuses déjà courantes dans le domaine éducatif (Piaget…). La différence entre opinion et savoir réside dans la solidité des preuves expérimentales avancées :

  • solidité dans les protocoles expérimentaux (expérience randomisée en double aveugle comme en médecine, expériences reproductibles ou non, …),
  • solidité dans l’analyse statistique des données expérimentales,
  • solidité par la taille des groupes étudiés,
  • solidité par la publication systématique des résultats expérimentaux (y compris les résultats négatifs) avec revue par les pairs..

Cette problématique de ce qui différencie un science d’un débat d’opinions est exprimée de manière très éloquente par Ben Goldacre dans sa présentation vidéo TED de 14 minutes sous-titrée en français.

Ben Goldacre a ensuite proposé au ministère britannique de l’éducation une explication quant à ce que cette approche scientifique devait donner une fois appliquée au domaine de la pédagogie et de l’éducation.

On peut donc bien parler d’éducation (ou de pédagogie) fondée sur les preuves (scientifiques). Alors, maintenant que l’on sait qu’il existe une approche scientifique de la pédagogie (les scientifiques du domaine pardonneront mon doute initial…), quel est l’état des connaissances scientifiques en la matière ? Plusieurs organismes essaient de tenir à jour une compilation de « ce qui marche » et qui marche moins bien, de ce dont on peut être sûr, d’après les publications scientifiques en pédagogie et didactique :

Ces acteurs et d’autres ont donc compilé des listes de preuves sur l’efficacité de telles ou telles méthodes ou interventions pédagogiques :

Toutes ces listes s’appuient notamment sur le travail initial de 2 équipes de chercheurs :

  1. l’équipe de John Hattie, en Nouvelle-Zélande, qui a compilé pendant 15 ans 800 « méta-analyses » qui recoupent entre elles, par analyse statistique, plus de 50 000 études scientifiques en matière de pédagogie, équipe qui a publié ses résultats en 2009 dans le livre « Visible Learning » ; voici 3 présentations qui tentent de résumer, en plus de la page ci-dessus, les principales découvertes de l’équipe de John Hattie :
  2. l’équipe de Robert Marzano, du Colorado, qui a adopté la même approche mais en se concentrant exclusivement sur les études d’efficacité d’interventions pédagogiques en classe : Marzano, R (2001) Classroom Instruction that Works Alexandria, VA: ASCD

Avec ces points de départ, on peut relativement facilement identifier des publications de synthèse qui mettent à jour ces connaissances :

Au final, j’ai trouvé peu de ressources en français sur l’éducation fondée sur les preuves. Et vous ?

Smart Contracts, crypto-monnaie et Revenu Libre d’Existence

J’ai un ami qui dédie sa carrière au « libre » et aux « biens communs » et je m’apprêtais à lui soumettre une idée d’innovation solidaire par email. Mais je lui ai dit que ça pouvait aussi t’intéresser, cher lecteur-contributeur. Ca parle donc de liberté, de solidarité mais aussi de cryptomonnaie (bitcoins, ethers) et de programmation de « smart contracts » solidaires. Donc essentiellement de numérique et d’innovation sociale.

L’idée de base, c’est d’essayer de rendre libres et communs des biens rivaux, ce qui est théoriquement impossible. J’ai évoqué cette idée ici il y a quelques années mais en anglais. Le principe est inspiré du Pay-It-Forward et de l’économie de communion. Un peu comme avec une licence de logiciel libre (copyleft), on rédige un contrat entre nous du style suivant.

Je te donne ce stylo (je te le « libère ») à condition que tu t’engages à donner à ton tour un stylo de valeur égale ou supérieure à celui-ci à la première personne qui t’en fera la demande dès qu’elle t’en fera la demande et acceptera les mêmes conditions que celles-ci et sans poser aucune restriction supplémentaire sur cette personne, le stylo ou l’usage que cette personne en fera.

Le stylo en question devient donc « libre » dans la mesure où plus personne ne peut se l’approprier au point d’en priver les autres. Mais tout le monde peut l’utiliser, l’étudier, l’améliorer et le partager. Presque comme un logiciel libre. Bien sûr, la différence principale c’est que, dès que je rend ce stylo à mon prochain, je ne l’ai plus. On ne peut pas l’utiliser simultanément à plusieurs. Mais je n’en suis pas non plus définitivement privé puisque je peux le redemander. Et si je l’use trop, c’est à moi de le réparer, de le remplacer ou de l’améliorer pour que je rende toujours une valeur au moins égale à celle que j’ai reçue.

Ce qui est amusant, c’est que si on inclut cette notion « d’intérêts » au sens financier (je te donne 1 stylo si tu t’engages à en donner 2, ou bien je compense au moins « l’usure » du stylo) et une notion de prix comparable ou de valeur au moins équivalente (je te donne des biens de valeur X si tu t’engages à en donner de valeur X * 2, pas forcément les mêmes biens) alors on peut imaginer contaminer ainsi tous les biens rivaux de la planète et, en théorie, mettre fin en pratique à la propriété privée. En pratique… en théorie.

Je te libère 1 euro la prochain fois que je te vois à condition que tu t’engages à en libérer 2 fois plus à la première personne qui t’en fera la demande, dès qu’elle t’en fera la demande et acceptera les mêmes conditions que celles-ci et pas une de plus. Par effet boule de neige, ce contrat librement contaminant pourrait, à terme, empêcher quiconque de refuser de partager son argent avec son prochain…

Bon, l’idée peut paraître amusante mais, en pratique, elle est difficile à implémenter à grande échelle. Il serait coûteux de faire respecter un contrat de ce type. Difficile de savoir qui détiendrait, à un instant t, des biens libres, lesquels et de quelle valeur, selon quelle version du contrat. Difficile de s’assurer que le bien rendu est effectivement de valeur égale ou supérieure au bien libéré. Et ensuite difficile d’obtenir d’un système judiciaire qu’il fasse appliquer ce contrat en allant jusqu’à faire saisir les biens libres de cette personne. Sans compter les personnes qui organiseraient leur insolvabilité par malhonnêteté ou seraient tellement endettées que ça ne serait pour elle qu’une dette insolvable de plus, cette fois vis-à-vis de tous tiers. Des dettes communes, en quelque sorte. Les insolvables agiraient alors comme des trous noirs à biens communs, en profitant mais en privant alors définitivement les tiers. Une tragédie..

Mais les choses sont plus facilement maitrisables avec la notion (compliquée) de smart contract. Je ne vais pas expliquer ici ce concept mais supposer que tu sais ce qu’il en est. Pour ce qui nous intéresse, on peut imaginer programmer un token de cryptomonnaie basé sur Ethereum selon un contrat de liberté inspiré de la GPL et du pay-it-forward : Alice donne ce token à Bob à condition que, etc. L’intérêt du smart contract c’est que Charles et David n’ont pas besoin de faire confiance à Bob pour savoir que le contrat va s’appliquer. Le contrat s’applique automatiquement, informatiquement, et avec une traçabilité parfaite. On peut programmer le contrat pour savoir à tout moment qui détient quels tokens libres et combien et selon quel contrat, et ces tokens peuvent être obtenus automatiquement par n’importe qui en ferait la demande. Il y a bien sûr un risque de fraude si on permet aux tokens d’échapper au contrat. Par exemple, si j’échange mon token contre des euros et que je m’approprie les euros obtenus au lieu de les laisser soumis au contrat qui me lie ainsi au reste de l’humanité. Qui va garder la contrainte de liberté lié au caractère « commun » de ce token ? Celui qui a obtenu les euros ? Ou celui qui aura récupéré le token libre ? Que vaut un token libre s’il ne peut pas être utilisée aussi librement qu’une monnaie non libre ? L’idéal serait que le détenteur de token libres puisse effectivement les échanger contre des euros libres, qu’il garde la charge de liberté initialement attachée au token mais désormais attachée aux euros dans le monde hors numérique dans lequel le smart contract ne s’applique plus automatiquement. Mais ce risque doit être quantifiable, limitable et gérable.

Du coup, ça m’a donné une idée d’extension autour du concept de revenu d’existence. L’idée est de faire circuler des smart contracts programmés pour permettre une redistribution équitable et universelle des richesses monétaires entre les personnes. Un revenu d’existence qui ne serait pas émis par une administration pour ses administrés seulement mais qui serait auto-organisé par contrat et librement consenti par ses souscripteurs en fonction de leur générosité (et de leurs besoins). Imaginons donc le contrat suivant.

    Alice verse 1 ether à Bob en tant que « revenu libre d’existence » (RLE) à condition que Bob s’engage à reverser un RLE :

  • à la première personne physique vivante qui en ferait la demande pour une période donnée, (Bob ne choisit pas le demandeur Charles qui lui demandera un RLE pour le mois de juillet 2015)
  • dès que cette personne en fait la demande, (Charles le demande le 9 août 2015 et donc l’obtient immédiatement, automatiquement, sans que Bob puisse s’y opposer comme il s’y est engagé initialement auprès d’Alice)
  • tant que la somme cumulée des reversements de RLE effectués par Bob est inférieure à la somme cumulée des RLE reçus par Bob, multipliée par un facteur d’intérêt F supérieur ou égal à 1, (tant que Bob n’a pas déjà reversé à des tiers F fois le montant total de RLE dont il a bénéficié ; une fois que Bob a beaucoup reversé de RLE, il s’est acquitté du contrat de RLE qui le liait à Alice)
  • et, étant défini que le montant nominal du RLE d’une personne pour une période donnée est égal à la somme cumulée des RLE reversés au cours de cette période divisée par le nombre de personnes ayant reçu ces reversements, (par égalité, le montant nominal du RLE est un partage égalitaire de tous ce que les gens ont pu reverser comme RLE à cette période), tant que Bob, pour la période demandée, n’a pas déclaré avoir touché comme revenus totaux un montant inférieur à 4 fois le montant nominal du revenu d’existence pour cette période, (c’est une exception au principe de liberté au nom de la solidarité ou de la fraternité : par solidarité, on autorise Bob à s’approprier temporairement le RLE qu’il a perçu tant qu’il est pauvre et donc à priver les tiers du reversement de ce RLE)
  • d’un montant égal au montant nécessaire et suffisant pour que cette personne ait bénéficié, au titre de cette période, du montant nominal du RLE d’une personne pour cette période, (on reverse à Charles ce dont il a besoin pour bénéficier d’un RLE complet pour cette période, mais pas plus)
  • sous les mêmes conditions que celles énumérées dans ce contrat ou dans toute version de ce contrat émise ultérieurement par Jean Millerat (il pourrait s’agir d’un auteur plus compétent, comme une Free Software Foundation de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, composée de juristes confirmés…)
  • et sans apporter de restriction ou condition supplémentaire.

Donc tous les bénéficiaires du RLE reversent à leur tour un RLE aux personnes qui le demandent. La machine est amorcée par les personnes solidaires qui acceptent de libérer un peu d’argent de temps en temps (les Alice). La machine est entretenue par tous les bénéficiaires suffisamment riches pour reverser leur RLE et un peu plus, à toute la planète (les Bob et les Charles). Et la machine bénéficie à tous ceux qui, à un moment de leur vie, n’ont pas assez de revenus pour reverser immédiatement un RLE (parfois Bob, parfois Charles). C’est une espèce de gigantesque mutuelle automatisée, en quelque sorte.

Je vais donc jeter un coup d’oeil à la programmation de smart contracts sur Ethereum pour voir dans quelle mesure ce concept est implémentable et donc ensuite essayer de le tester.

A noter : ce concept peut être étendu à de nombreuses autres formes d’innovation sociale, c’est le tour de force des smart contracts et des cryptomonnaies, qui « informatisent la confiance » (qui rendent la confiance inutile dans certaines transactions en automatisant leurs conditions d’exécution). Par exemple, plutôt que de prévoir une exception solidaire de non-reversement immédiat par les plus pauvres, on pourrait imaginer un contrat dans lequel Charles peut définitivement s’approprier le montant perçu (ne pas avoir à le reverser) à condition d’avoir produit un bien commun dont la valeur est estimée par un panel de souscripteurs comme étant au moins égale au montant perçu. Un peu comme si Charles avait convertit un token de cryptomonnaie libre en un bien commun tel qu’un logiciel libre, des contributions à la wikipedia, à OpenStreetMap, etc. Le contrat devient alors un modèle de financement de la création de biens communs.

Tu imagines d’autres applications possibles de contrats de ce type ? Qu’est-ce que ça t’inspire ?