Je suis régulièrement contacté par des personnes réalisant des études sur le mécénat de compétences, l’entrepreneuriat social ou l’informatique en tant que levier d’innovation sociale, pour démultiplier la portée ou les effets de solutions à nos problèmes de société. Ces personnes sont parfois des étudiants qui réalisent un mémoire sur l’un de ces sujets, ou d’autres fois des personnes qui se lancent elles-mêmes dans l’entrepreneuriat social et ont des projets liés au mécénat de compétences.
Aujourd’hui, c’est une porteuse de projet qui engage la conversation avec moi par email et je choisis de lui répondre via ce blog dans l’espoir que vous vous joigniez à notre échange (via les commentaires en bas de page) :
Je suis arrivée sur votre site par le biais du site de l’incubateur de l’ESSEC, Antropia. J’ai regardé votre vidéo et visité votre site. Votre concept très intéressant et très bien construit. Je réalise actuellement, une étude ( besoins / marché/ contexte) , en amont d’un projet […]
Je saute la description du projet puisqu’il s’agissait d’un email privé…
[Pour mon projet], j’accorde une place particulière à ce que les [systèmes d’information] peuvent et doivent apporter aux porteurs de projet en [économie sociale et solidaire]. Pour le moment la fracture m’apparait importante … Il se trouve que j’ai travaillé dans les SI comme consultante durant 5 ans ([assistance à maîtrise d’ouvrage] – accompagnement du changement) et pour le mécénat d’entreprise pendant 2 ans ( dans le monde de l’art). Je suis donc en mesure d’apprécier pleinement votre concept . Je partage de plus avec vous la conviction que l’on peut agir sur le plan social et dans l ‘intérêt général au sein d’une SARL classique. C’est une question de personne et de valeurs.
Ca fait toujours du bien de dialoguer avec quelqu’un qui ne confond pas statut juridique, gouvernance et utilité sociale. :)
Dans la mesure où vous êtes en plus, soutenu par l’ESSEC, je pense que votre modèle économique fonctionne mais j’avoue que j’aimerais savoir si les SSII sont vraiment mûres pour accueillir votre concept.
Si j’écoute la plupart des ingénieurs salariés en SSII que je rencontre, la réponse est plutôt non : nombre de leurs managers leur donnent l’image de personnes sclérosées par les oeillères du profit financier à court terme. Mais mon expérience au contact des dirigeants de quelques SSII ne les rejoint pas. A titre individuels, ces dirigeants ne sont pas tous aussi axés « fric » qu’on le pense ou qu’on veut bien le dire. Ca ne m’étonnerait pas, dans certains cas, de découvrir que certains mènent une double-vie : manager en SSII le jour et bénévole la nuit ! :)
Et les outils conceptuels comme le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises se sont suffisamment ancrés dans d’autres secteurs économiques pour que la culture managériale des SSII en ressente l’influence. Ne serait-ce que par la présence croissante de volets « développement durable »/RSE dans les appels d’offres et questionnaires référencements des grands acheteurs de prestations informatiques (banque, industrie, secteur public, …).
Moi aussi, j’aimerais être sûr que les SSII sont suffisamment « mûres » pour le wecena. J’en fais le pari mais cela demande encore beaucoup d’efforts d’information et de conviction.
En d’autres termes quel pourcentage de votre temps de manager, consacrez vous à convaincre, voire évangéliser ?
Je suis à temps plein sur ce projet depuis maintenant 2 ans. Ce n’est que depuis novembre 2009 que la gestion des opérations de wecena (avec les volontaires envoyés par Groupe Open pour Dyspraxique Mais Fantastique-DMF) me prend du temps. Avant cela (donc hors gestion des opérations), et pifométriquement, je dirais que mon temps s’est découpé ainsi :
- 5% gestion administrative et financière courante
- 20% relations avec les associations (sélection et préparation des projets)
- 25% réalisation du système d’information wecena.com et maintenance
- 50% évangélisation/ »marketing »/relations avec les sociétés mécènes
Ce temps vous semble-t-il très raisonnable au regard du CA généré pour votre société ou est-il objectivement trop lourd pour un développement économique satisfaisant?
Il ne me semble pas déraisonnable qu’un entrepreneur consacre 70% de son temps à développer et gérer les relations avec ses clients et fournisseurs. Et comme mon rôle pour mes associations clientes est accessoirement de leur trouver des mécènes (mon rôle principal est de les conseiller dans la conduite technologique de leurs projets et le management opérationnel de leurs volontaires), c’est normal que ces relations avec les SSII aient pris 50% de mon temps jusqu’à aujourd’hui.
Par contre, étant donné que le CA généré par mon premier exercice (jusque fin septembre) était de l’ordre de 10 kEUR, il y a effectivement un problème ! Pour que le système wecena soit viable économiquement, il faut entre 3 et 4 équivalents-temps-plein volontaires en moyenne (envoyés par les mécènes) pour chaque consultant Wecena (moi) intervenant auprès des associations . Au mois de décembre, j’ai dépassé cet objectif et j’ai pu répartir mon temps de manière satisfaisante pour rôder cette première opération au profit de l’association DMF et envisager de continuer à ce rythme.
A condition d’obtenir cette quantité de volontaire, le système est viable.
Tout le problème est d’obtenir cette quantité de volontaires et ce de manière régulière. Deux facteurs me paraissent aujourd’hui limitants :
- le délai de passage à l’acte pour une SSII : combien de temps s’écoule entre le moment où un dirigeant (DRH, directeur communication) de SSII me dit « le wecena, c’est très intéressant pour ma société, je suis favorable à ce que nous en fassions » et le moment où, très officiellement, les salariés sont informés du dispositif et invités à se porter volontaires sur le ou les projets pré-sélectionnés par la direction,
- et, dans une moindre mesure, le taux de transformation de salariés en volontaires : une fois qu’une SSII appelle ses salariés au volontariat, quel pourcentage des salariés vont percevoir cet appel (tout le monde ne lit pas sa messagerie corporate dans le monde du service informatique, loin de là…), y faire attention sur le coup et y penser lors de leur prochain intercontrat ? et combien vont effectivement se porter volontaires ?
L’obstacle le plus dur à franchir est le 1er (le passage à l’acte) car le mécénat, même si il ne coûte rien à l’entreprise mécène, n’est jamais un dossier prioritaire pour une direction générale. En l’absence de sentiment d’urgence, chacune des directions à convaincre à l’intérieur de l’entreprise (finances, juridique, communication, RH, management opérationnel, …) aura toujours un dossier très-très-urgent à traiter avant de décider d’accorder de l’attention au wecena. Et, même dans le cas favorable où un responsable mécénat/développement durable/RSE a été nommé, il dépendra toujours de la disponibilité de ses collègues pour pouvoir conduire le changement dont il a la charge et, éventuellement, introduire le wecena dans les pratiques et les moeurs de son entreprise.
Pour revenir à la question posée : non, aujourd’hui le wecena n’est pas encore rentable et sa viabilité économique reste une affaire de foi personnelle (et de moyens financiers). Malheureusement pour nos économies familiales dirait ma moitié…
D’autre part, votre offre peut-elle s’appliquer aux petits porteurs de projets innovants pour lesquels un simple site et une base de données, de qualité, peuvent être un outil déterminant pour la réussite ?
En général non. Mais ça dépend de 2 facteurs principaux :
- Si les volontaires demandés ont pour vocation de concevoir et de réaliser un outil logiciel, le wecena n’est habituellement pas une bonne solution. En effet, à tout moment et sans préavis, le volontaire peut interrompre (définitivement) son intervention pour retourner en mission lucrative. Dans ces conditions, il est difficile de répartir entre plusieurs volontaires successifs des tâches intellectuelles à très forte valeur ajoutée et nécessitant une grande continuité de connaissance pour les mener à bien. Le volontaire suivant risque de devoir reprendre à zéro tout ce que son prédécesseur avait commencé quelques jours auparavant.
- Si, en plus, la technologie à employer est « moderne » (web, mobile…) alors il y a de fortes chances que les volontaires compétents soient plus difficiles à trouver et disponibles sur des durées plus courtes. En effet, ce genre de compétences « se vend bien » et les intercontrats sont plus rares et plus courts. Un consultant mainframe/COBOL a des intercontrats souvent plus longs que son confrère spécialiste J2EE.
Cependant, si le projet comporte une importante masse de travail découpable en petites tâches nombreuses et courtes (1 à 2 jours de travail chaque), en dehors de la conception d’un petit site web/base de données, alors le wecena est une bonne réponse : les volontaires s’occuperont des ces tâches sur lesquels ils peuvent être productifs et utiles dès leurs premiers jours de présence. Et Wecena SARL, dans son rôle de conseil et d’assistance technologique, peut prendre à sa charge les tâches de conception et de réalisation nécessitant de la continuité et des compétences « à la pointe de la technologie ».
D’ailleurs, même si le projet et la demande de volontaires se limitent à des tâches informatiques éloignées de la création d’outils, Wecena proposera probablement des améliorations technologiques à l’association bénéficiaire car c’est aussi sa mission que de faire progresser l’innovation technologique au service de l’innovation sociale.
Un questionnaire d’autodiagnostic est disponible pour permettre aux porteurs de projet de se poser ce genre de questions et de se faire une meilleure idée de l’adéquation de l’offre wecena à leur besoin.
J’espère que vous accepterez de me répondre.
Merci pour ces questions. :)
Je suis parfois taxée d’utopie et cela me ferait plaisir de savoir que votre excellent concept est bien perçu, voire soutenu par des managers mécènes sincères et éclairés.
Le monde de l’entrepreneuriat social est un monde d’utopistes pragmatiques. Bienvenue ! :)
Concernant les mécènes, j’ai donc réussi à faire passer à l’acte un cabinet de conseil de quelques dizaines de consultants (Neoxia) puis une société de services de quelques milliers de consultants (Open). Je m’attelle maintenant à transformer ces essais en pratiques durables. J’ai des rendez-vous prévus avec des managers de plusieurs autres sociétés qui me disent être « favorables » à l’adoption du wecena en leur sein, même si elles n’ont pas encore « acté » de décision, en interne. Et le syndicat patronal des SSII, Syntec Informatique, suit ces développements avec une bienveillance active en faisant occasionnellement la promotion de ce concept auprès de leurs adhérents. J’ai quelques bonnes fées mais est-ce que ce sera suffisant ? Pas sûr.
Après, tout est une question de rapidité de changement et de lutte contre l’inertie des organisations : aurai-je les moyens financiers de me consacrer au wecena jusqu’à ce que les pratiques changent suffisamment dans le secteur des SSII ? Il « suffirait » d’un flux moyen de 3 ou 4 ETP volontaires mais rien n’est joué… A suivre…
En retour, si je peux vous informer sur un domaine touchant à l’ESS ou à l’accompagnement du changement, n’hésitez pas.
Si vous avez des pistes d’idées pour accélérer le passage à l’acte des SSII que je rencontre, je suis plus que preneur ! Ne loupez pas non plus la rubrique « participer au wecena » sur le site.