Rien à voir avec des propositions à faire à des clients… Je prends le temps, aujourd’hui, de réfléchir aux propositions que l’économie de communion pourrait inspirer à notre gouvernement et au G20 pour nous aider à sortir transformés de la crise économique actuelle. Vous vous souvenez peut-être d’une allocution télévisée de Nicolas Sarkozy fin 2008 : « et si on partageait autrement les bénéfices des entreprises : un tiers pour être réinvesti, un tiers pour les salariés, un tiers (seulement) pour les actionnaires ? ». A l’époque, ça avait marqué plusieurs entrepreneurs qui pratiquaient depuis plusieurs années un partage un peu différent : « un tiers pour être réinvesti, un tiers pour promouvoir la culture du don et de l’amour de son prochain dans les entreprises, un tiers pour les plus pauvres ». C’est en effet l’une des bonnes pratiques de l’économie de communion.
Aujourd’hui, le gouvernement s’interroge et consulte ces entrepreneurs : que pourrait-on proposer au G20 pour aller plus loin vers une « refonte du capitalisme » comme disent certains auteurs ?
Alors je jette ici en vrac mes idées. La dernière est celle que je préfère car c’est celle qui est le plus directement inspirée de l’économie de communion.
1) Promouvoir le capital altruiste :
Une entreprise qui entre dans ce système dédie X% de son capital à des organismes d’intérêt général qu’elle choisit et ce pourcentage reste constant à chaque variation de capital. Les organismes d’intérêt général n’ont pas forcément les droits de vote correspondant, il s’agit essentiellement d’un moyen de les financer sans interférer avec la gestion de l’entreprise. C’est différent de l’esprit de l’économie de communion dans la mesure où une entreprise en capital altruiste peut être pourrie jusqu’à l’os mais, du moment qu’elle rapporte des dividendes, ses « actionnaires » d’intérêt général peuvent en profiter.
Plus d’infos sur http://www.capital-altruiste.org/fr/.
L’objectif est non seulement de financer directement les organismes d »intérêt général mais également d’indexer ce financement sur la croissance économique. Des avantages fiscaux pourraient être consentis à ces entreprises en
fonction de leur indice de capital altruiste ?
2) Introduire un statut juridique inspiré des L3C américaines :
L’administration Obama s’intéresse à un nouveau statut de société à profit modérés qui permet, si je comprends bien, d’institutionnaliser des sortes de joint ventures entre sociétés et organismes d’intérêt général, avec un fonctionnement fiscal proche des GIE : la L3C elle-même ne paie pas d’impôs mais c’est à chaque participant de prendre en charge la fiscalité de la L3C selon les règles qui s’appliquent à lui et selon son pourcentage de participation.
http://en.wikipedia.org/wiki/L3C
http://www.fredcavazza.net/2009/05/10/vers-un-nouveau-modele-daffaire-avec-lentreprise-a-profit-modere/
L’objectif est de faciliter les partenariats (et donc le dialogue et la coopération) entre entreprises et ONG, de faire un pont entre non-profits et for-profits.
3) Introduire en France les social businesses à la Yunus
Je n’ai pas lu le bouquin mais, à ce que je comprends, la principale différence juridique entre un social business à la Yunus et une association loi 1901, c’est que les investisseurs peuvent retirer leur capital à la fin alors que, pour l’asso loi 1901, le capital reste consacré ad vitam eternam à l’objet social de l’asso et, même si l’asso
est liquidée, il doit être transféré à une asso à objet équivalent.
L’avantage éventuel d’un tel statut serait d’encourager le développement de l’entrepreneuriat social.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Social_business
Dans mon cas perso, je me suis lancé dans l’entrepreneuriat social en créant une SARL. Je n’ai pas créé une association car il s’agit d’un projet individuel et non collectif. Je n’avais donc pas vocation à m’entourer d’associés. Pour une entreprise individuelle de ce type, le statut juridique le plus naturel est la SARL à associé unique. Pour autant, je vise avant tout un objectif social d’intérêt général et non l’idée de faire fortune.
Ce qui manque vraiment pour développer l’entrepreneuriat social, ce serait un statut juridique adapté qui permet :
- de se lancer seul, comme une SARL à associé unique,
- de bénéficier de la protection d’une SARL,
- de rémunérer du capital financier mais avec un plafond,
- de bénéficier du régime fiscal du mécénat sans pour autant interdire à l’entrepreneur de se rémunérer, et donc en proposant une alternative au critère de gestion désintéressée ; ce critère de bénévolat des dirigeants est une condition sine qua non pour pouvoir bénéficier du régime fiscal du mécénat, alors qu’il devrait pouvoir être remplacé par des critères de contrôle exercés par des organismes d’intérêt général à gestion désintéressée, comme c’est indirectement le cas pour des SARL filiales de groupes associatifs d’intérêt général
Cela mériterait un truc un peu plus français que les social business à la Yunus mais en restant à peu près dans le même esprit. L’objectif serait d’encourager davantage de créations d’entreprises visant directement à résoudre des problèmes de société.
4) Renforcer encore le régime fiscal du mécénat
La France est déjà le paradis fiscal du mécénat. Mais plusieurs choses pourrraient être faites pour s’appuyer sur cet atout français :
- relever le plafond fiscal du mécénat pour les PME (actuellement c’est 0,5% du CA pour tous) de manière à encourager toutes les entreprises à faire du mécénat et pas uniquement celles qui ont des compétences de communication institutionnelle suffisantes pour rentabiliser leur politique de mécénat,
- allonger le délai d’exercice du droit à l’économie d’impôts au titre du mécénat ; actuellement, si vous faites un don mais n’êtes pas assez bénéficiaire sur les 5 années suivantes, alors l’économie d’imôts est perdue (ce n’est pas un crédit d’impôt remboursable) ; or on est embarqué pour une crise qui risque de durer bien plus que 5 ans (plutôt de l’ordre de 10 ans si on regarde l’évolution du PIB pour les crises de 1873 et de 1929, je crois) ; comment encourager les entreprises à se montrer solidaires au plus fort de la crise si on ne leur octroye pas leur avantage fiscal au moins jusqu’à la fin de la crise ?
- la France pourrait encourager plus activement les autres pays de l’UE et du G20 à répliquer son régime fiscal du mécénat ; en particulier, là où il y a le plus de gisement de ressources d’entreprises à transformer en dons, c’est dans les ressources en nature qui restent inexploitées voire son gaspillées, (non pas dans les comptes en banque) ; par exemple, les industries agro-alimentaires peuvent donner des invendus aux banques alimentaires ; les industriels peuvent donner leurs invendus à des organisations humanitaires ; les sociétés de service en informatique peuvent donner leurs temps morts sous forme de wecena (pub !) ; le régime français encourage le don en nature bien plus que les régimes équivalents à l’étranger ; voila un axe de progression pour le G20.
5) Rendre transparentes les méthodes de notation et d’évaluation des risques
Il s’agit de forcer les agences de notation à publier leurs méthodologies de notation. Autrement dit, interdire l’exercice de l’activité de notation du risque de défaillance des entreprises et des emprunteurs à tout organisme qui ne divulgue pas ses méthodes de calcul dans le détail. En effet, ce n’est qu’en divulgant ces méthodes d’ingénierie d’évaluation du risque qu’on peut espérer capitaliser sur ces méthodes, en évaluer la fiabilité et la performance, les améliorer et progresser collectivement en la matière. La recherche scientifique ne peut progresser que parce que les affirmations des scientifiques sont appuyées par des publications complètes, reproductibles dans des conditions expérimentales similaires et donc que l’on peut contredire ou améliorer. Loin des rigueurs de la science, les agences de notation reflètent plutôt l’abitraire, la réputation et les illusions collectives. Nous souffrons tous du manque de fiabilité des systèmes actuels d’évaluation des risques financiers, sociaux et environnementaux. Il faudrait donc que ces systèmes soient soumis aux même impératifs de publicité que ceux des sciences pour qu’ils gagnent en fiabilité et donc nous en sécurité. Un groupe américain de chercheurs et d’entrepreneurs travaille d’arrache-pied sur ce sujet et propose déjà des outils et méthodes pour rendre ce champ d’activité public, transparent et fiable.
cf. le site http://freerisk.org et leur vidéo de présentation.
6) Représenter l’intérêt général des entreprises via les dons consentis par leurs parties prenantes, comptabiliser la solidarité autour de l’entreprise
Le point fort de la proposition de l’économie de communion, c’est d’introduire une démarche libre, désintéressée et volontaire de don, un don qui vient du coeur ; mais jusqu’ici ce don est personnel (c’est l’actionnaire qui donne à titre individuel) alors que, ici et maintenant, on parle des moyens d’inscrire ce don dans une démarche collective d’entreprise et de société, pour sortir transformés de la crise.
Mon idée serait donc de trouver un moyen pour pouvoir promouvoir et célébrer collectivement la culture du don autour de chaque entreprise. De célébrer (ou, au contraire, de sanctionner par le silence) l’entreprise comme vecteur d’avancement de l’intérêt général, de la société comme outil solidaire de redistribution des richesses.
Il s’agirait donc que l’Etat oblige l’entreprise à poser officiellement la question d’un don individuel, libre, volontaire et désintéressé à chaque partie prenante : l’actionnaire, le mandataire social, le salarié, le client, le fournisseur… et à publier la réponse qu’elle en obtient. Plus précisément, il s’agirait que l’entreprise propose à chaque partie prenante d’affecter à un don d’intérêt général une partie de sa dette envers cette partie prenante (les dividendes qui doivent lui être versés, sa prime de fin d’année, l’abondement sur son épargne salariale, son avoir, le réglement de sa facture…) et à rendre des comptes quant à la générosité que l’entreprise inspire. Concrètement, voila comment cela pourrait se passer :
- C’est l’entreprise qui propose aux parties prenantes un ou des bénéficiaires possibles, forcément d’intérêt général (art. 238 bis du CGI), par exemple en vue de sa prochaine AG. Faire cette proposition devient une obligation légale et sanctionnée en cas de manquement (amende et surtout publicité de la sanction). Le bénéficiaire proposé peut être la fondation éventuelle de l’entreprise ou son fonds de dotation d’intérêt général.
- Chaque partie prenante peut ensuite librement, et en toute confidentialité, répondre à l’entreprise : « non merci, je garde pour moi ce que l’entreprise me doit » (mes dividendes, ma prime, mon épargne salariale, le réglement de ma facture, mon avoir…) auquel cas il n’y a aucune conséquence particulière, sa dette lui est réglée. Au contraire, elle peut librement répondre « oui, je décide d’en donner x euros à tel bénéficiaire » et ces dons ont leurs conséquences fiscales habituelles. L’entreprise verse ce montant au(x) bénéficiaire(s) choisi(s) par le donateur dans la liste proposée par l’entreprise. Mais c’est le donateur, comme d’habitude, qui reçoit le reçu fiscal émis par le bénéficiaire. Le donateur aurait pu choisir d’empocher ce que l’entreprise lui devait et ne pas faire de don (« je garde tout pour moi car l’entreprise ne me paie déjà pas beaucoup, alors…« , « je suis un fonds de pension bête et méchant et mes actionnaires ne veulent pas que je fasse du mécénat »). Ou bien faire un don direct sans passer par l’intermédiaire de l’entreprise (« je ne vois pas pourquoi je me montrerai comme solidaire de mon entreprise pour verser mon don annuel aux restos du coeur alors que mon entreprise ne mérite pas cela »). En acceptant de faire un don via ce mécanisme de solidarité d’entreprise, il accepte simplement que l’entreprise en question rende compte que l’un de ses actionnaires (ou l’un de ses salariés, ou de ses clients) a fait ce don « en tant qu’actionnaire » (ou en tant que salarié, …).
- Dans tous les cas, le résultat final est obligatoirement rendu public: « au total, cette année, nos parties prenantes ont donné tant d’euros« . La répartition de ce résultat par catégorie de partie prenante devrait également être rendue obligatoire (les salariés ont donné tant, les mandataires sociaux ont donné tant, les actionnaires ont donné tant, …) ce qui donne aux dirigeants un outil de management et de dialogue social sacrément intéressant. L’obligation de publication de répartition de ces dons par catégorie de partie prenante pourrait éventuellement ne s’appliquer qu’au-delà d’une certaine taille d’entreprise de manière à camoufler l’identité des donateurs personnes physiques (vie privée). Eventuellement, on pourrait imaginer que cette publication soit limitée aux seuls parties prenantes et à l’Etat lorsqu’on a affaire à une petite entreprise familiale…
- C’est la publication au sujet de ces dons associés à l’entreprise qui donne son sens au mécanisme. Ensuite, au moment de l’AG, on annonce donc combien chaque catégorie a donné et on célèbre collectivement les dons consentis (libre aux donateurs de s’identifier individuellement ou non, c’est à chacun de voir) ou bien on prend simplement acte que personne n’a rien donné cette année (« chacun pour soi ! ») ; on peut compter sur les services communication des entreprises pour mettre en scène l’annonce des dons (façon Téléthon-maison…). De manière optionnelle, certaines entreprises pourraient choisir d’abonder les dons consentis par certaines de ces parties prenantes : « pour chaque euro que nos clients donneront aux bénéficiaires que nous proposons, l’entreprise donnera un euro supplémentaire au titre de son mécéant d’entreprise« .
Les dons restent personnels, libres et volontaires comme dans l’économie de communion. Le seul changement, c’est que l’Etat forcerait les entreprises à poser cette question lors de leurs AG et à comptabiliser les résultats, l’Etat « interpellerait » ainsi la bonne volonté de toutes les parties prenantes de toutes les entreprises (et non les entreprises elles-mêmes). Il y a un coût pour l’entreprise (choisir des bénéficiaires, demander à chacun son avis, verser les dons aux bénéficiaires et faire parvenir les reçus fiscaux aux donateurs) mais celui-ci est minime eu égard aux bénéfices en termes d’images et de management que l’entreprise solidaire peut en tirer.
La conséquence attendue est de promouvoir la culture du don par le biais des individus parties prenantes de l’entreprise, autour de l’entreprise comme lieu collectif de don de soi ; autrement dit, l’Etat insère une nouvelle condition dans le fait d’octroyer à des groupes d’individus la protection du statut juridique de société. Cette condition consiste à rendre la société plus transparente et plus responsable quant à l’usage qui en est fait par chacune de ses catégories de parties prenantes en tant que vecteur d’avancement de l’intérêt général. Les sociétés qui seront le plus utilisées comme vecteurs de don pour l’intérêt général gagneront un avantage en termes de réputation et d’image. Les sociétés qui seront les moins utilisées comme vecteurs collectifs de don individuels pour l’intérêt général ne bénéficieront pas de cet avantage. On donne la possibilité à chaque partie prenante d’associer ou non sa générosité personnelle et individuelle à l’image de l’entreprise, et de changer d’avis d’une année sur l’autre, pour exprimer ce qu’il/elle ressent quant au niveau de responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise en question.
Voila. Qu’en pensez-vous ? Et vous, quelles sont vos pistes ?
Une autre idée, tellement présente à mon esprit que j’avais oublié de la remettre dans ce brainstorming :
7) Encourager fiscalement la récupération des biens communs
L’air que l’on respire, notre environnement naturel, la connaissance du génome, la science, les algorithmes sont des biens communs de l’humanité. Ces biens ne peuvent pas faire l’objet d’une propriété privée. Et ces biens sont des facteurs clef de la croissance.
Pourtant, certaines évolutions du droit de la propriété, et notamment de la propriété intellectuelle, font craindre que l’Etat puisse laisser des acteurs privés rompre l’unité entre les hommes, et entre les hommes et leur environnement, en laissant faire (voire en encourageant) l’appropriation de ces biens communs. A l’inverse, des initiatives privées et d’autres évolutions du droit donnent l’espoir que nous allons vers une meilleure protection et un meilleur partage des biens communs pour l’avenir de l’humanité et de nos économies :
– l’industrie des logiciels libres valorise les services de la connaissance autour des biens communs que sont les algorithmes informatiques et mathématiques plutôt que leur vente comme si il s’agissait de biens propriétaires,
– le législateur s’est plusieurs fois prononcé contre la brevetabilité des logiciels,
– l’industrie pharmaceutique consent à des exceptions tarifaires sur ses brevets concernant les trithérapies pour les pays du tiers monde (sous la pression de l’opinion publique),
– la loi sur les droits d’auteur DADVSI prévoit une exception aux droits d’auteur lorsqu’il s’agit par exemple d’adapter des manuels scolaires sur informatique pour des enfants aveugles,
– à travers la science en « open access », la communauté scientifique universitaire explore des modes de publication de leur travaux privilégiant la dissémination des biens communs de la connaissance scientifique plutôt que leur appropriation par des éditeurs de revues,
– dans de nombreux autres domaines économiques, la connaissance sous toutes ses formes est préservée en tant que bien commun non appropriable, à travers de nombreuses initiatives « open source »
La préservation du caractère de biens communs de la connaissance nécessite une évolution claire et affirmée du droit de la propriété, et notamment du droit de la propriété intellectuelle.
En attendant une telle évolution volontaire du droit, les initiatives privées visant à préserver le caractère commun et librement exploitable par tous de ces biens, devraient être encouragées par l’Etat. Ainsi des mesures fiscales inspirées de celles du mécénat devraient être mises en oeuvre pour toute société ou tout particulier acceptant de distribuer sous forme de logiciel libre ou de contenu libre (licence « creative commons ») un élément de sa propriété intellectuelle. Puisque cet acteur accepte de confier librement à l’humanité son bien privé, et de garantir par une licence de propriété intellectuelle adéquate que ce bien restera commun, l’Etat devrait lui procurer un avantage économique et donc une incitation forte.