L’économie de communion est un concept issu d’un mouvement de l’Eglise catholique appelé les Focolari. Autant les Focolari semblent avoir une saveur un peu hippie-catho/communautaire/charismatique qui peut faire peur ou rigoler, autant l’Economy of Communion (EoC) est un concept que je trouve très percutant et pertinent, notamment mis en perspective du phénomène open source avec lequel il partage de nombreux points communs du point de vue idéologique tout du moins. Il s’agit d’un concept d’autant plus percutant qu’il a déjà été adopté et mis en oeuvre au sein de plus de 700 PME en Italie, au Brésil et ailleurs.
Les ambitions de l’EoC
L’Ecole pour les Entrepreneurs de l’Economie de la Communion propose à des dirigeants d’entreprise de les aider à comprendre
comment il [leur a été] possible de […] faire les bons choix : en étant les premiers à aimer les autres, en induisant ainsi un amour réciproque au sein de la firme, ce qui à son tour attire l’attention des cieux et l’action de notre partenaire caché et divin directement au sein de l’entreprise
Tout un programme théologico-économique ! Mais qu’est-ce qui se cache sous ce jargon catho ? Les entrepreneurs de l’EoC se donnent comme objectif de
démontrer qu’il est effectivement possible d’appliquer la communion dans l’économie et montrer ainsi que ce nouveau comportement économique est basé sur une rationnalité plus large qui anticipe un modus operandi qui deviendra inévitable dans un futur raisonnable.
D’après le professeur Bruni,
L’EoC espère transformer les structures d’entreprise de l’intérieur en réussissant à éclairer les relations internes et externes des sociétés à la lumière d’un style de vie basé sur la communion c’est-à-dire sur le ‘don réciproque’ que ce terme implique […] Le challenge de l’EoC est de relire les pratiques organisationnelles quotidiennes à la lumière de cette notion de don et de communion.
Tout cela a vraiment l’air d’avoir quelque chose en commun avec les challenges (et l’idéologie) de l’économie open source : économie du don, pratiques communautaires, comportement et rationnalité économiques paradoxaux mais promis à un large succès… L’économie de la communion est-elle l’open source de l’Eglise catholique ?
Les difficultés auxquelles s’affronte l’EoC
Si les entreprises telles qu’on les connaît ne sont pas toujours des petits nids d’amour, c’est que
le raisonnement moral des gens [y] est coupé des réalités profondes de leurs vies, créant ainsi ce que de nombreuses personnes appellent « une vie fracturée ». C’est je pense l’une des raisons principales pour lesquelles construire des communautés authentiques au travail est si difficile. […] Il y a une forte tentation dans l’organisation de voir toute chose professionnelle […] comme un simple instrument d’accès aux profits ou au succès individuel. […] L’ubiquité [de ce type de rationnalité] exclut toute forme de rationnalité morale […] Cette rationnalité instrumentale tend à concentrer la responsabilité sociale de l’entreprise sur […] le don de bénéfices à des pauvres [(mécénat caritatif)], le don de temps personnel à des activités caritatives, la fourniture d’avantages divers aux employés, etc. au détriment de la manière dont s’effectue réellement le travail [quotidien] telle que la manière de rémunérer les gens, de concevoir les postes de travail, les processus de prise de décision, le marketing, les structures de propriété [(d’actionnariat)], la stratégie, le gouvernement d’entreprise, etc. L’instrumentalisme ambiant empêche la transformation morale et spirituelle de la manière dont chacun appréhende son travail et sa manière de travailler.
Du point de vue théorique, les tenants de l’EoC défendent que la théorie économique entre dans le champ plus large des théories morales, que l’idée selon laquelle la rationnalité économique est guidée par l’optimisation de ses stricts intérêts par l’individu a ses limites, qu’il n’est pas théoriquement impossible qu’un système économique tout entier puisse petit à petit voir des formes de rationalité économiques paradoxales devenir monnaie courante et qu’enfin une rationalité économique basée sur la notion chrétienne de communion (ou, plus largement, sur le don réciproque) est tout à fait… rationelle. Finalement, du point de vue théorique, l’EoC essaie de renvoyer l’homo economicus à la responsabilité morale qui guide forcément ses comportements économiques.
L’EoC en pratique
Les entreprises de l’EoC pratiquent la distribution d’une partie de leurs bénéfices à des oeuvres caritatives. Mais Lorna Gold explique que
la logique de communion [qui sous-tend l’EoC] ne se limite à cette dimension de distribution. Elle concerne la manière dont on traite les clients, la structure de tarification, la gestion de crises, la gestion des débiteurs etc. Très clairement, l’efficacité globale est essentielle, mais l’approche « au cas par cas » domine et est guidée par le désir de comprendre les besoins de son prochain.
En prenant l’exemple des politiques de rémunérations, Naughton note que
les rémunérations sont génératrices d’insatisfaction et non de satisfaction. Les rémunérations en elles-mêmes ne peuvent bâtir une communauté mais peuvent empêcher une communauté. […] [Du point de vue chrétien] le travail ne peut jamais être réduit au salaire versé. […] Il vaut mieux éviter de parler des salaires comme un échange [économique] mais plutôt comme éléments d’une relation de travail entre employeur et employé, relation qui a en son centre une dimension de don qui peut servir à renforcer une communauté professionnelle. [Cependant, il faut bien noter que] certains postes sont conçus tellement mal, de manière tellement idiote et bureaucratique qu’il devient très difficile [pour l’employé] de pouvoir faire preuve de don dans une telle situation. [Selon l’EoC, trois principes doivent guider les décisions de rémunérations :] satisfaire les besoins des employés (salaire minimal), reconnaître leurs contributions (salaire équitable), permettre un ordre économique durable pour l’entreprise (salaire durable).
Pour Michael Naughton, cet exemple des politiques de rémunérations illustre bien du point de vue de l’EoC
l’art de la réflexion de niveau intermédiaire qui fait le lien entre la théologie de la communion et les pratiques opérationnelles et quotidiennes de l’entreprise
Leo Andringa illustre la question des relations hiérarchiques dans l’entreprise et des modèles organisationnels en évoquant le fait que
l’organisation des entreprises est un « résidu de la société féodale ». Les idées révolutionnaires de liberté et d’égalité ont influencé l’Eglise, la famille et les institutions mais […] à l’opposé, n’ont pas touché l’essence capitaliste du système de l’entreprise. [… ] Du point de vue de la théorie de l’organisation, il est clair qu’une organisation […] ayant une finalité unique exprimée en cibles financières (chiffre d’affaires, bénéfices, trésorerie, valeur pour l’actionnaire) peut être relativement simple et […] très hiérarchique. [Mais] la principale motivation de l’entrepreneur EoC est de vivre la communion dans un environnement commercial. […] Plus l’objectif d’une organisation est complexe […] plus sa forme organisationnelle le sera.
Benedetto Gui précise que, dans l’EoC,
être un entrepreneur (ou un dirigeant ou quiconque ayant des responsabilités dans l’entreprise) est vu comme une véritable vocation : la vocation d’atteindre des valeurs élevées (et même des valeurs spirituelles) à travers l’accomplissement de tâches séculaires.
M. Andringa cite son expérience personnelle et ses relations en tant que patron avec son assistant :
Chaque fois que j’avais une décision importante à prendre pour l’entreprise, je lui faisais part de mes motivations et arguments. Il était une sorte de miroir pour moi. Lorsque je lui exposais mes arguments, je sentais immédiatement si ils tenaient ou non la route. En tant que directeur, c’était une expérience particulière que de prendre les décisions en [communion]. C’était une réalité que je vivais déjà dans ma vie privée et dans ma famille mais je la transposais pour la première fois dans la réalité de la direction d’une entreprise. […] En pratique, on voit qu’un grand nombre d’entrepreneurs veulent confronter leurs décisions d’importance avec autrui. […] Il est clair qu’une telle vision de l’entreprise ne peut se concrétiser sans la coopération de la majorité des actionnaires et la coopération ou la connaissance de la plus grande part des employés. Ce n’est que dans les entreprises où la communion est à tous les niveaux que ceux qui ont les rênes de l’entreprise peuvent être l’expression de la solidarité plutôt que celle de leur vision personnelle.
Le lien entre l’EoC et la responsabilité sociale des entreprises
Leo Andringa rappelle que
bien que de nombreuses multinationales ont gardé leurs oeillères fixées sur la croissance de leurs profits, nombre d’entre elles se sont impliquées dans l’augmentation de leur responsabilité sociale d’entreprise. […] La philosophie de l’EoC ne coïncide pas avec ce que l’on appelle maintenant la « Corporate Social Responsability » : en fait l’EoC a une responsabilité environnementale « par vocation » et non pour des buts de communication, d’image ou de [réponse à une] pression sociale. [L’EoC] exige beaucoup plus. […] Comment l’entreprise peut-elle réconcilier les intérêts de tous ceux qui dépendent d’elle : les actionnaires, les clients, les fournisseurs, la société civile ? Du point de vue [de l’EoC] il n’y a pas de réponse théorique à ce problème. Lorsqu’il est impossible de résoudre ce problème méthodologique à un niveau matériel, une solution est à trouver à un autre niveau [(spirituel, moral)].
Les atouts des entreprises EoC
Benedetto Gui explique que
les préoccupations [éthiques] des entreprises EoC font peser une charge additionnelle sur les dirigeants qui se sentent dans l’obligation implicite de garantir à leurs employés non seulement de bons emplois mais également des occasions de développer des relations interpersonnelles positives et de s’engager dans leurs activités professionnelles en accord avec leurs valeurs morales. Cependant, il y a un avantage à cet inconvénient : celui d’un surplus de motivation et de mobilisation de ressources volontaires. C’est grâce à ce phénomène que de nombreuses entreprises EoC survivent ou même connaissent le succès, malgré le « handicap » que représente leur adhésion à des principes de comportements telles que le respect de l’environnement, de la loi, etc.
Un témoignage dans le magazine de l’EoC illustre ce phénomène : Marcelle, responsable d’une toute petite exploitation agricole en Côte d’Ivoire, raconte sa surprise lorsqu’elle a constaté que ses ouvriers venaient prendre soin des plantations pendant leurs congés ou lorsque les événements politiques l’ont éloignée de son exploitation…
Avez-vous déjà repéré des sociétés françaises pratiquant l’économie de la communion ?